Cette méthode de diagnostic rapide de la maladie pour sa prise en charge précoce permet de limiter ses séquelles handicapantes et suicidaires. Mise sur pied par une équipe d’Epicentre, elle pourrait révolutionner la lutte contre l’infection à Mycobacterium ulcerans, jusqu’ici considérée comme un mauvais sort.
Par Adrienne Engono Moussang
L’équipe d’Epicentre, branche de recherche et d’épidémiologie de Médecins sans frontière (MSf) a réalisé une étude sur la possibilité d’un diagnostic rapide de l’ulcère de buruli (Ub). Les résultats de ce travail basé sur la méthode de score ont été présentés en 2020 sur trois sites à forte endémicité de l’Ub au Cameroun : Akonolinga et Ayos, pour la région du centre et Bankim pour l’Adamaoua. Après cette étape : « Un article scientifique a déjà été rédigé et soumis à un journal spécialisé dans les maladies tropicales négligées », a renseigné Mr Rodrigue Ntone, joint au téléphone par la rédaction de Sciences Watch Infos. Il s’agit, selon le chercheur, sans toutefois méconnaître ce qui se fait déjà dans les laboratoires, de valider un score clinique.
Alors assistant de recherche en 2020, le Mr Ntone a fait partie de ceux qui ont réalisé l’étude C’était dans le cadre du programme Validation du score clinique pour le diagnostic de l’infection à Mycobacterium ulcerans au Cameroun (VASCOMU) sous la supervision du Pr Yap Boum II, qui était à cette date, le représentant régional Afrique d’Epicentre. Le travail vise à améliorer la prise en charge de l’ulcère de buruli.
Mr Rodrigue Ntone affirme que l’équipe a intégré toutes les réserves faites lors des différentes restitutions de l’étude. Dans ce travail, la taille de la plaie, sa couleur et son odeur sont prises en compte dans le diagnostic. « Des critères tels que la couleur jaunâtre, l’odeur, la taille de la plaie, le sexe, le niveau de sensibilité et plusieurs autres doivent être pris en compte pour suspecter la présence de la maladie », dit-il. Sur un échantillon de 360 participants 139 ont été testés positifs à l’ulcère de buruli et soumis au traitement dans les centres appropriés.
« Le nombre de point attribué à l’odeur peut atteindre +3 tandis que les plus grands scores pour la taille et la couleur sont respectivement de - 1 et de +2 », précise Mr Ntone. « Si le score est inférieur ou égal à un, il ne s’agit pas de l’ulcère de buruli. Quand il se situe entre un et quatre, le patient est mis sous traitement en attendant les résultats du test. Lorsqu’il est supérieur ou égal à cinq, il est mis sous traitement de l’Ub et le test n’est plus nécessaire », soutient le Pr. Yap Boum II.
La méthode score est une contribution importante dans la lutte contre cette maladie tropicale négligée (Mtn). Au Cameroun, l’ulcère de buruli est lié à la sorcellerie ; d’où la désignation « Atom », chez les Bétis, peuples de la forêt du centre et du sud, essentiellement. Atom qui indique le mauvais sort. Les spécialistes définissent l’’Ub, cependant, comme une infection causée par Mycobacterium ulcerans, micro-organisme proche des bactéries responsables de la tuberculose et de la lèpre. Seulement, la recherche peine toujours à définir son mode de transmission et l’agent vecteur. Il reste aussi difficile pour certains personnels de santé de détecter rapidement la maladie.
Les personnes qui contractent l’Ub n’ont d’autres choix que de se rendre chez les tradi-praticiens qui, à l’aide des écorces, des plantes et des racines, fabriquent des décoctions qui réussissent à faire cicatriser les plaies, mais superficiellement et déclarent la guérison du malade. Sauf que très souvent, la rechute qui survient au bout de quelques mois est souvent plus virulente. « Lorsque je suis allé à l’indigène, j’ai guéri rapidement. Mais c’est lorsque je reprends les classes que je rechute. Cette fois-là, je vais à l’hôpital en prenant la résolution de quitter les bancs de l’école. C’est à ce moment-là que j’ai recouvré la santé », témoigne souvent Michel Gabriel Ekoto Ngono, un ancien malade qui a dit avoir cru à l’aspect mystique de l’ulcère de buruli. Pour celui qui est devenu aujourd’hui sensibilisateur auprès des nouveaux malades, ce sort lui a été jeté pour l’empêcher d’aller à l’école.
Les malades étant souvent rejetés et stigmatisés
« (…) Ce que les gens doivent comprendre c’est que la plaie peut se refermer à la surface sans être complètement guérie à l’intérieur », indique le Pr Yap Boum II. Le scientifique est convaincu que l’Ub, dépisté et pris en charge à temps, se traite à l’hôpital.
Quoique permettant de freiner le développement extérieur des plaies, le traitement à base traditionnelle, parce que n’assure pas la guérison complète des malades, les expose à d’autres problèmes, à cause du rejet suscité par leur état physique; des problèmes relevés dans le cadre du programme Validation du score clinique pour le diagnostic de l’infection à Mycobacterium ulcerans au Cameroun. « 35% de malades ont développé des problèmes de santé mentale. 25% ont eu des tendances suicidaires et 5% ont plongé dans l’alcoolisme. Les malades étant souvent rejetés et stigmatisés, ils sont contraints de vivre dans la solitude », avait renseigné le Dr Franck Eric Wanda, directeur du Centre internationale de recherche, d’enseignement et de soins (Cires), qui a contribué à l’étude.
La communauté internationale va commémorer la quatrième édition de la Journée mondiale des maladies tropicales négligées le 30 janvier prochain. Instituée le 31 mai 2021, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui elle, faisait suite au mouvement « Non aux Mtn » lancé en 2018, cette commémoration est un appel à la communauté scientifique et aux décideurs pour qu’ils accordent une attention à ces pathologies qui affectent un nombre important d’individus. Les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), entre 2010 et 2022, le nombre de cas d’Ub dans le monde est passé de 5000 à moins de 1500 cas. La maladie est plus présente dans les pays tropicaux.
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