Les jours se suivent et se ressemblent presque pas pour Selama et ses amis. Ces jeunes artisans miniers de Kambélé III, dans le département de la kadey, région de l’Est Cameroun, ont vu leur destin basculer, du jour au lendemain, depuis quelques mois. Ceci, à cause de l’arrêt des chantiers aurifères appartenant aux sociétés chinoises, Wang, Menchen, entre autres, imposé par une décision du ministre des Mines de l’Industrie et du Développement technologique (Minmidt), signée le 23 septembre 2024. « Nous voulons dire au gouvernement que nous ne voyons plus du bien. Qu’il accélère le traitement du dossier et autorise ceux qui sont en règle à reprendre le travail. Nous ne disons pas que les Chinois sont des anges ; au contraire ! Mais étant donné qu’ils utilisent des engins, lorsqu’ils ont fini d’exploiter, nous descendons dans les trous abandonnés pour glaner quelques déchets », indiquent la vingtaine de jeunes artisans rencontrés le 5 novembre dernier à Kambélé III. Avec un matériel rudimentaire tel que des pioches, ceux-ci essayent péniblement, mais sans succès, de creuser le gravier.
L’ambiance mouvementée du village minier n’est qu’un lointain souvenir dans cette localité. De l’herbe a poussé devant plusieurs maisons ; leurs occupants, ne pouvant plus se tirer d’affaire, ont abdiqué et sont allés chercher mieux ailleurs. Les gargotes ne semblent plus faire recette du fait de cette situation.

champ minier
La controverse Chinoise
Le sujet alimente les conversations avec des opinions différentes, à l’exemple de celle-ci, que nous avons surprise dans un bar à côté d’un chantier minier. « Le gouvernement nous a vraiment enlevé une épine du pied, avec l’arrêt des chantiers des Chinois. Ces gens n’ont pas de cœur. Ils font ce que personne ne peut faire chez eux. Ils nous prennent notre ressource, nous menacent, tuent les nôtres. Ils n’emploient nos enfants qu’aux tâches dévalorisantes. Même les déchets, ils n’acceptent pas que nous touchions. Lorsque cet or va finir qu’est-ce que nous allons garder comme souvenir ? », demande un notable, qui n’a pas accepté d’être cité, à son interlocuteur. Dans le coin, les Chinois ont la réputation de violer les droits des populations. « Personne ne peut entrer dans la carrière, ils sont là, leurs gendarmes sont là, ils arrêtent tout le monde. Dans tous leurs chantiers miniers, c’est la même chose. Ils sont tous pareils dans la violation des droits de l’homme : pas de contrat de travail, pas d’assurance, pas de congé maladie ou de prise en charge, pas de dimanche. Nous nous demandons si Yaoundé est au courant de ce que subissent les Camerounais dans les chantiers des Chinois. Néanmoins, nous pensons que l’arrêt des chantiers chinois est un début de prise en compte de nos préoccupations par l’Etat », renchérit l’interlocuteur du notable qui, lui aussi, a accepté de parler sous le sceau de l’anonymat. Le cas Rostand Boutili, qui avait reçu une balle tirée à bout portant par Hong, responsable de la China Mining, basée à Kana, dans l’arrondissement de Kette, le 10 juin 2021 pour avoir demandé le paiement de ses arriérés de salaire est toujours dans les mémoires ici.
Tout avait pourtant bien commencé. « Au début, tout allait bien avec l’arrivée des Chinois. Mais après tout a basculé. Nous avons les regards tournés vers le gouvernement par rapport à l’arrêt des chantiers. Ça ne va pas ; nos enfants ont commencé les classes et nous n’avons pas moyens de payer leur pension il faut normalement que les exploitants en règle soient autorisés à travailler. Il y avait trop de manigances. Les Chinois ne favorisaient que ceux qui mangent avec eux et le bas peuple souffrait, voilà pourquoi nous nous sommes plaints et c’est ce qui a entraîné l’arrêt des chantiers », explique Pierre Roger Mbock, artisan minier de Batouri.
La compensation reste un leurre
« En tant qu’artisan minier, dit-il, nous souhaitons que l’état fixe des bases de compensations afin que les populations puissent bénéficier de l’exploitation minière. C’est des centaines de kilogrammes d’or qu’ils exploitent chaque jour. On ne sait pas si Yaoundé est au courant. Je suis né à Kambélé, j’ai pratiquement 38 ans aujourd’hui, je n’ai travaillé que dans l’or, on a arrêté les classes parce que l’or nous permettait de gagner notre vie. Je suis père de sept enfants. Nos trous où nous nous débrouillions ont été arrachés par les Chinois qui ne nous ont rien reversé. Nous souhaitons que l’Etat recadre l’activité des Chinois. Nous avons un comité de développement à Kambélé, nous sommes en train de recenser la population pour qu’en cas de reprise des travaux, l’Etat puisse entendre la voix des riverains », renchérit Pierre Roger Mbock. Les entreprises chinoises, comme souvent, sont restées inaccessibles.


trous miniers
Le village est parsemé de trous à ciel ouvert. Quelques engins sont immobilisés. « L’arrêt des chantiers est effectif mais, nous souffrons. La surveillance des sites aurifères a redoublé d’ampleur, malgré l’absence des activités des entrepreneurs chinois. Les riverains souhaitent que l’Etat instaure officiellement une mesure qui leur donne accès aux déchets lorsque les activités vont reprendre. On n’a pas l’opportunité d’accéder à ces déchets mais on les prend lorsque le moyen se présente. « Nous sommes obligés de voler » », confient Selama et ses amis.
Les femmes n’échappent pas aux sévices

« Le caillou n’est plus pour nous. Il y a des gendarmes qui nous menottent et nous enferment dans les conteneurs. Les Chinois sont certes partis mais nous ne pouvons pas accéder aux trous. Il y a des gros bras qui nous menacent », déplorent deux jeunes dames presqu’en larmes. Moins courageuses que les hommes, elles n’ont pas pu mettre le moindre caillou dans leur sac depuis le matin de ce jour-là, alors qu’il était déjà 14 h30 par-là. Contrairement aux hommes qui peuvent parfois se défendre, les femmes sont régulièrement victimes de kidnapping.
D’après les déclarations des creuseurs artisanaux, c’est par la force qu’ils ont instauré le « sasailler ». « Il s’agit d’un bras de fer que nous imposons parce que nous nous sommes rendu compte que si nous nous laissons faire, notre ressource va s’épuiser sans que nous ne bénéficiions de quoi que ce soit. Et pendant ce « sasailler », il y a même 4000 personnes qui entrent dans le trou. C’est le nombre qui nous sauve souvent parce que même pendant que nous sommes là, il y a des tirs des gendarmes qui vont dans tous les sens et parfois, les balles atteignent les malchanceux », rapportent les jeunes orpailleurs. « Si les Chinois réussissent à nous intimider à nous brutaliser avec l’aide de nos gendarmes et policiers, ça veut dire qu’ils sont légalement autorisés par nos dirigeants. Nos droits sont violés. On ne sait plus quoi faire », précisent-ils.
Des enfants aux situations difficiles
Les trous dans cette localité mesurent parfois 30 mètres de profondeur et ne laissent aucune chance pour l’agriculture ou l’élevage. « On ne s’attendait pas à ce qui nous est arrivé ; que tout un village comme le nôtre soit détruit et qu’on ne nous recase pas ; on ne nous indemnise pas », se lamente Mbock. Seuls quelques privilégiés ont été indemnisés. Pour la majorité, la recherche d’or reste la seule voie de salut. Et même : « Nous n’avons pas appris à le faire, l’or donne beaucoup d’argent et à l’immédiat. Nous voulons que le gouvernement nous affecte notre propre site », clament-ils. Manger est devenu difficile : les denrées alimentaires sont rares et chères. « Ici, on pense que tout le monde est orpailleur. Tout est cher. D’ici cinq ans, on va se ravitailler en vivres hors de la Kadey », a prédit une habitante de Batouri.


femme dans la mine et femme qui extrait de l'or
Des enfants sont venus aussi chercher le pain quotidien. Pourquoi sont-ils là alors que le Cameroun a ratifié la convention N°182 de l’Organisation internationale du Travail (l’OIT) sur les pires formes de travail des enfants, parmi lesquels le travail dans les trous d’or? Nous avions l’habitude de chasser des enfants des chantiers miniers, ils reviennent le lendemain jusqu’à ce qu’on s’est dit qu’il fallait comprendre pourquoi. Rendus chez l’un d’eux, nous avons découvert qu’il avait des parents handicapés, le père était aveugle et la mère, paralytique. Ceux-ci nous ont fait savoir que c’est ce que leur fils ramenait de la mine que les aidait à vivre. Vous les voyez ici, ils vivent des situations difficiles qui les poussent à travailler ici malgré eux. Plusieurs sont sans parents et sans soutien », renseigne Selama.
Décès dus aux éboulements.
En deux jours, selon les dires des orpailleurs, il y en a qui peuvent avoir cinq mille, deux cent mille, un ou deux millions de francs Cfa. « Plusieurs d’entre nous sont orphelins aujourd’hui parce que les parents sont morts dans les trous miniers ou alors ont été tués. Il y a des gens qui ont pris de l’argent pour laisser faire. L’Etat doit nous protéger nous sommes ses enfants. On nous demande d’attendre les pluies pour avoir accès au trou. Comment donc faire pendant les trois mois où il ne pleut pas ? Nous sommes fatigués de faire des doléances parce qu’elles n’aboutissent pas », s’indignent le groupe de Selama.

Charles Goba
Pour Charles Goba, conseiller et natif de Batouri les artisans nationaux doivent s’organiser en groupement d’initiative commune (Gic) pour être à la hauteur de gérer les chantiers miniers au lieu de les brader auprès des étrangers. « Nous encourageons les populations à s’organiser en coopératives pour pouvoir évoluer mais beaucoup sont individualistes or seul, on ne peut pas s’en sortir », a-t-il indiqué.
« Le code minier dit que les autorisations ne doivent être signés qu’aux Camerounais qui va chercher un partenaire technico- financier. Parmi les documents, il y a ce qu’on appelle le cahier des charges. Chacun dit exactement ce qu’il faire pour les populations riveraines », dit-il par ailleurs.
Il y a de cela un an, révèle-t-il, on avait regroupé tous ces exploitants et chacun avait dit ce qu’il allait faire pour les populations riveraines. Certains l’ont respecté mais d’autres ne l’ont pas fait. Il renseigne que souvent, ce sont les riverains qui s’opposent à la réhabilitation des sites par les exploitants miniers. « Cependant, lorsque les gens se plaignent, nous sommes allés dans une localité une fois où l’on avait demandé aux exploitants de fermer les trous et ce sont ces mêmes populations qui s’étaient opposées pour dire que si les exploitants ferment les trous comment elles vont vivre. Parce qu’avant l’arrivée des Chinois, les gens prenaient deux à trois ans pour creuser un trou. Il y a des artisans camerounais qui louent ces engins pour travailler », soutient-il. « Il y en a qui n’ont pas de moyens et qui attendent que les Chinois creusent les trous pour se ravitailler dedans. La preuve en est que depuis qu’on a stoppé les Chinois au niveau de Kambélé, les artisans ne travaillent plus. Ils sont liés. Quand les Chinois creusent, ils leur laissent les déchets qu’ils fouillent et c’est avec cela qu’ils font leur vie.
Dans les cahiers de charges normalement, il y a un procès-verbal, avant que la société ne commence à exploiter, il y le chef chantier qui est comme le chef de projet, il y a le maire, la délégation départementale et l’exploitant lui-même. Dedans, il y a les œuvres sociales à réaliser pour les communautés riveraines. Le code minier exige la fermeture du site et la restauration. Il y a quelques camerounais qui ont des moyens et qui exploitent mais d’autres vont vers les Chinois. Il n’y a pas de grands étant donné que le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat qui donne à qui il pense l’autorisation d’exploiter », signe Charles Goba.
Risque humain et environnemental
Dans l’arrondissement de Batouri, entre 2012 et 2014, une étude de l’organisation non-gouvernemental (ONG) Forêt et développement (FODER) a recensé plus de 250 chantiers miniers non réhabilités par 65 entreprises de la mine semi mécanisée. Les autorités ont maintes fois tiré la sonnette d’alarme, en vain. Dans sa livraison du 14 juin 2022, le journal ECO Matin du 14 juin 2022 fait état de 192 morts dans les différents sites d’exploitation artisanale de l’or entre 2014 et 2022.
[Ce qui explique qu’en 2022, un travail du Centre pour l’environnement et le développement (Ced), une organisation de défense de l’environnement basée à Yaoundé a relevé qu’à peu près 40 litres de mercure et de cyanure étaient déversés chaque jour dans les cours d’eau autour de Kambélé III. La même année, une étude de l’organisation non-gouvernementale Forêt et développement (Foder) située à Yaoundé, indiquait que sur un échantillon de 60 orpailleurs prélevés, 43 (71,7%) avaient une concentration de mercure au-dessus de la normale prescrite par l’Organisation mondiale de la santé (Oms). La concentration s’observait sur les cheveux. Le Ced va plus loin pour avertir que les poissons pêchés dans les eaux du département de la Kadey, tout comme le bétail qui s’y abreuve, sont contaminés par ces métaux lourds. Et tous ceux qui se nourrissent de ces denrées alimentaires sont contaminés où qu’ils se trouvent] extrait paru le 13 août 2024 sur https://scienceswatchinfos.net. Cliquez ici pour lire l'article

Commentaires 0